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Vendre son entreprise : 3 erreurs à éviter pour ne pas perdre les fruits d’une vie

Oct. 2025
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  • Litige commercial et modes privés de règlement

Chronique juridique :  9397-5332 Québec inc. c. Tessier, 2024 QCCA 1371

En 2015, après plus de vingt ans à la tête de son entreprise familiale Flexfab, Pierre Tessier décide de passer le flambeau. Pour lui, la vente de son entreprise représentait l’aboutissement d’une carrière et la promesse d’une retraite bien méritée. L’acheteur est trouvé, la transaction se signe, et tout semble en ordre.

Mais dès le départ, la structure retenue cachait des failles. Tessier a reçu 1 000 $ comptant pour ses actions, le reste devant provenir du rachat progressif de 985 000 actions privilégiées sur dix ans d’une autre société à qui les actifs sont transférés. Pour le rassurer, l’acheteur lui a offert le cautionnement d’une société liée. Sur papier, le montage paraissait sophistiqué. Dans la réalité, Tessier plaçait sa retraite sur des bases fragiles.

« Le choix de la structure est crucial pour assurer le succès d’une transaction pour le vendeur. »  Être bien accompagné pour faire ce choix est essentiel.

La première faille se cachait dans la structure elle-même. Or, le choix de la structure est crucial pour assurer le succès d’une transaction pour le vendeur.  En effet, le type de montage retenu en l’espèce ressemble davantage à un gel successoral, sans que Tessier ne puisse bénéficier des avantages du roulement fiscal. C’est un modèle fréquemment utilisé lors de transmission familiale, mais pas dans une vente à un tiers étranger. Or, étaler le paiement sur dix ans, c’est accepter de dépendre de la santé financière de l’acheteur pendant une décennie entière. Plus le délai est long, plus les risques s’accumulent : faillite, ralentissement économique, tarifs imprévus, etc. Dans le cas de Tessier, il n’aura fallu que quelques mois pour que tout s’écroule comme un château de cartes et que l’acheteur fasse faillite.

La deuxième faiblesse tenait au cautionnement. Tessier croyait qu’il lui garantissait le paiement en cas de défaut, mais en droit, une caution ne peut être tenue à plus que le débiteur principal. Son obligation est par nature accessoire. Lorsque l’obligation principale est conditionnelle — ici, le rachat des actions ne pouvant intervenir que si la société demeurait solvable conformément à la Loi sur les sociétés par actions — l’obligation de la caution l’est également. Autre particularité, une société ne peut pas payer le prix d’achat de ses propres actions si elle est insolvable, ou si elle se rend insolvable en ce faisant.

« Une caution ne peut être tenue à plus que le débiteur principal. »

Ce que Pierre Tessier percevait comme une garantie solide s’est donc révélé juridiquement très limité par l’étendue de l’obligation principale. La Cour d’appel l’a rappelé avec fermeté : interpréter le cautionnement obtenu par Tessier comme couvrant une obligation ferme aurait eu pour effet de transformer une obligation conditionnelle en obligation absolue, ce que prohibe le Code civil. La décision de la Cour d’appel tient donc à la nature accessoire du cautionnement et à la restriction légale imposée aux sociétés : la caution ne peut excéder ni contourner la condition qui affecte l’engagement du débiteur principal.

À ces risques contractuels s’ajoutait un troisième piège fiscal. Lorsqu’un entrepreneur vend ses actions, le fisc considère que le gain en capital est réalisé immédiatement, même si le prix est payé sur dix ans. Le vendeur doit donc s’acquitter de l’impôt sur la base d’un prix qu’il ne touchera peut-être jamais. Certes, un mécanisme permet d’étaler l’imposition, mais seulement sur cinq ans. Dans la structure proposée à Tessier, cela signifiait qu’il pouvait se retrouver avec une facture fiscale bien réelle… sur de l’argent qu’il ne toucherait jamais.

Le vendeur ne devrait jamais accepter des modalités de paiement s’étalant sur plus de 5 ans, sans bien soupeser les risques fiscaux que cela comporte.

Au final, Tessier a perdu plus de 845 000 $. Même les tribunaux ne lui permettront pas de récupérer son dû : la Cour d’appel conclura que l’obligation de rachat des actions était conditionnelle, et que la caution ne pouvait donc pas être tenue au-delà du débiteur.

Comment éviter un tel scénario?

La réponse tient à la préparation et la mise en place de bonnes garanties. Dans une vente d’entreprise, il est essentiel de sécuriser les paiements par de véritables sûretés : hypothèque sur les actions vendues, hypothèque universelle sur les actifs de l’acheteur, hypothèque immobilière si possible, et clauses claires permettant de reprendre le contrôle en cas de défaut. Ces protections transforment une promesse fragile en une sécurité tangible, même en cas de faillite. Les cautionnements aussi ont leur utilité. Mais seuls, ils s’avèrent souvent bien insuffisants.

L’histoire de Tessier rappelle une vérité simple: vendre son entreprise, c’est la transaction d’une vie.

Si vous songez à vendre, entourez-vous des bons conseillers. Un montage bien pensé peut faire la différence entre une retraite paisible… et une catastrophe.

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