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Dans l’arrêt Veilleux c. Icar inc. (2024 QCCA 1057), M. Jean-François Veilleux et sa société, Gemini Autosport inc. (ci-après « Gemini »), portent en appel un jugement de la Cour supérieure rejetant leur réclamation de plus de 400 000 $ en dommages et intérêts contre Icar inc. (ci-après « Icar »), alléguant la terminaison illicite d’un contrat de travail à durée déterminée.
La réclamation visait notamment à recouvrer les dommages découlant de la valeur résiduelle dudit contrat et, principalement, du salaire, une indemnité de vacances ainsi que divers frais, dont de l’essence.
CONTEXTE
En février 2008, Icar retient les services de M. Veilleux à titre de directeur de son académie. Un protocole d’entente préliminaire est signé par les parties. Ce protocole prévoit certains attributs le rapprochant davantage d’un contrat de travail, y compris un « salaire » (pour la phase II) ainsi que d’autres obligations normalement propres au statut d’employé, alors que d’autres attributs le rapprochent davantage d’un contrat de service. Fait important, rapidement après son arrivée, M. Veilleux informe son supérieur qu’il souhaite être rémunéré sous forme d’honoraires payables à sa société de gestion, Gemini, au motif que celui‑ci a toujours été rémunéré de la sorte et qu’il s’en déclare satisfait. Icar accepte cette formule de rémunération et, à chaque mois, émet des chèques à l’ordre de la société de gestion.
Au cours de l’été 2008, le projet initialement ambitieux que représentait Icar se heurte à plusieurs défis qui imposent un changement de direction. Puis, vers la fin de l’été, malgré l’implantation d’un nouveau modèle d’affaires, Icar prend la décision de licencier certains employés et de mettre un terme à l’ensemble des contrats de service de ses fournisseurs, le tout conformément aux lois applicables, et ce, dans l’optique d’une saison hivernale arborant une faible perspective de revenus.
Dès lors, M. Veilleux se déclare en désaccord avec la légalité de cette décision de Icar à son égard, considérant qu’il se dit lié par un contrat de travail consacré par le protocole d’entente préliminaire signé.
C’est donc dans ce contexte que celui-ci intente une action en justice.
LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE
En première instance, la Cour supérieure rejette entièrement la réclamation de M. Veilleux au motif que le fait pour M. Veilleux d’avoir volontairement fait intervenir sa société de gestion, Gemini, à titre de véhicule de paiement est un changement important ayant pour effet de modifier la nature du contrat intervenu.
Sans se pencher sur le lien de subordination découlant de l’analyse des faits, la juge se dit convaincue qu’un tel changement n’est pas banal puisqu’opérant systématiquement une transformation par laquelle Gemini devient la seule contractante d’Icar et qu’en vertu du droit québécois, une société ne peut revêtir le statut d’employé. Par conséquent, selon la juge, les parties se sont liées d’un contrat de service assujettie aux règles qui lui sont propres, dont le droit à la résiliation unilatérale par le client, Icar en l’espèce.
Subsidiairement, la Cour supérieure rejette tous les autres arguments de M. Veilleux et, notamment, la réclamation en dommages.
L’ARRÊT DE LA COUR D’APPEL
En appel, M. Veilleux et Gemini allèguent différentes erreurs entachant le jugement de la Cour supérieure, mais s’articulant principalement toutes au niveau de la qualification du contrat qui, selon eux, en est forcément un de travail à durée déterminée et non un contrat de service.
À l’appui de ses arguments, M. Veilleux plaide l’arrêt de la Cour d’appel dans Services financiers FBN inc. c. Chaumont (2003 CanLII 24474 [QC CA]), un arrêt de cette même Cour d’appel qui semble reconnaître que le fait pour un salarié de faire lui-même et volontairement intervenir sa société de gestion afin de recevoir paiement de son employeur, aux termes de ce qui s’apparente à un véritable contrat de travail, n’a pas pour effet de changer automatiquement ou systématiquement la nature du contrat. Or, la cour d’appel rejette l’argument et distingue cet arrêt en affirmant que celui-ci n’a pas la portée que les appelants lui attribuent, notamment vu la nature de l’instance. La Cour réitère plutôt l’application de l’ensemble des arrêts plus constants en la matière, dont les arrêts Wright et CIA, pour conclure de manière sans équivoque que lorsqu’un salarié fait volontairement intervenir sa société pour recevoir paiement, ceci ne constitue pas un changement de circonstances exceptionnel permettant le soulèvement du voile corporatif et ainsi de rétablir le régime du contrat d’emploi. Manifestement, pour la Cour, en pareil contexte, l’analyse s’arrête à cette étape et l’exercice de pondération des autres facteurs afférents au lien de subordination n’est donc pas requise.
Enfin, ayant réglé l’argument principal, la Cour d’appel conclut en constatant l’absence d’erreur quant aux autres volets du jugement de la Cour supérieure et ainsi rejette l’appel de M. Veilleux et de Gemini.
CE QUE VOUS DEVEZ RETENIR DE CET ARRÊT
Par cet arrêt, la Cour d’appel dissipe toute confusion ayant pu être engendrée par l’arrêt Chaumont et transmet un message fort important : lorsqu’un salarié fait intervenir sa corporation dans une relation avec un employeur pour en tirer un avantage quelconque, le statut d’employé est irrémédiablement compromis car on ne peut jouer sur les deux tableaux, c’est-à-dire obtenir les avantages des deux régimes, soit celui de l’entrepreneur/travailleur autonome d’une part et, d’autre part, celui du salarié, sans en subir les inconvénients. La conclusion de la Cour aurait présumément été bien différente si l’intervention de Gemini dans la relation contractuelle avait eu lieu à la demande d’Icar, notamment afin que cette dernière puisse éviter les conséquences fiscales et sociales des lois applicables. Tel n’était pas le scénario en l’instance.
De plus, l’arrêt Icar démontre à quel point il est important pour un employeur d’être conscient des risques réels découlant des comportements des parties dans le cadre des affaires normales, particulièrement pour les compagnies en démarrage qui parfois, faute de temps et de moyens, ne peuvent constamment assurer une harmonie parfaite entre le contrat signé et la réalité pratique sur le terrain.
À tout moment, il est important d’établir le cadre contractuel que l’employeur souhaite mettre de l’avant avec un partenaire ou un employé, et de consulter un professionnel des relations de travail afin d’éviter tout risque inutile. Il est également important pour un employeur d’éviter de se limiter à une entente de principe générale, car dès lors, même lorsque signée, faute de pouvoir conclure postérieurement une entente complète et détaillée, advenant conflit, le niveau d’exposition au risque sera inévitablement beaucoup plus grand.
Pour toute question en lien avec des contrats impliquant des partenaires, fournisseurs, collaborateurs et employés, y compris des cadres, ainsi que pour la gestion des différends, nous vous invitons à communiquer avec notre équipe.
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