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La portée juridique des plans environnementaux municipaux

Mar. 2025
  • Publications
  • Droit municipal

L’aménagement du territoire repose sur un équilibre délicat entre les droits des entreprises et la protection de l’environnement. En planifiant l’occupation de leur territoire, les MRC et municipalités doivent assurer la conservation des milieux naturels tout en tenant compte des acteurs économiques. Dans ce contexte, la Cour supérieure du Québec a récemment rendu une décision[1] précisant la portée juridique des plans régionaux des milieux humides et hydriques (« Plan ») et réaffirmant les limites du pouvoir judiciaire face aux choix politiques municipaux. Cette affaire illustre aussi la difficulté, pour une entreprise, d’invalider un plan environnemental en l’absence d’un effet juridique contraignant immédiat.

Tourbières Lambert inc., qui exploite des tourbières sur des terrains privés et publics sur le territoire de la MRC de Lac-Saint-Jean-Est (« MRC »), s’est retrouvé au cœur du litige. En 2017, des modifications législatives ont introduit, dans la Loi sur l’eau[2], l’obligation pour les MRC d’adopter des plans régionaux visant à protéger les milieux humides et hydriques. C’est dans ce cadre que la MRC a adopté son Plan en 2022, lequel a été approuvé par le ministère de l’Environnement[3] en 2023. Ce Plan vise à identifier les milieux humides et hydriques sur son territoire afin de planifier des actions pour leur conservation. Or, les tourbières étant par nature associées aux milieux humides, le Plan concernait directement l’exploitation de Tourbières Lambert.

Estimant que le Plan compromettait ses activités, l’entreprise l’a contesté en invoquant plusieurs irrégularités. Elle reprochait notamment à la MRC de ne pas l’avoir consultée, d’avoir intégré des terres publiques dans son diagnostic en violation de la Loi sur l’eau, et d’avoir utilisé des données inexactes, notamment en affirmant que 86,97 % des tourbières avaient entraîné une perte de milieux humides. Elle dénonçait également le non-respect du guide méthodologique du ministère censé encadrer l’élaboration de ces plans.

Dans son analyse, la Cour rappelle d’abord que la Loi sur l’eau vise la protection d’une « ressource essentielle et vulnérable », d’où la nécessité de prévoir des obligations pour favoriser sa gestion intégrée et sa conservation. Cependant, elle insiste sur un point central : le Plan en question n’a pas de portée juridique contraignante. Contrairement à un règlement ou à un schéma d’aménagement, il ne crée pas d’obligations légales immédiates pour les citoyens ou les entreprises. Bien que la loi impose son adoption, sa mise en œuvre effective dépend encore de décisions futures de la MRC. La Cour refuse donc d’annuler un document qui, en l’état, ne produit aucun effet juridique concret.

De plus, la Cour met en évidence une distinction clé en en matière d’aménagement du territoire : alors qu’un schéma d’aménagement exige la "conformité" des règlements municipaux, le Plan ne requiert qu’une "compatibilité". Cette nuance est cruciale, car elle signifie que le plan fixe des orientations générales sans pour autant imposer des contraintes immédiates aux acteurs économiques. De même, la Cour précise que le Plan n’a aucun caractère impératif pour le ministère de l’Environnement : sa seule obligation est de le prendre en considération, ce qui ne l’empêche pas de rendre des décisions contraires. Ainsi, comme le recours de Tourbières Lambert est purement théorique et qu’il n’existe pas de préjudice immédiat justifiant une intervention judiciaire, ce dernier est donc jugé irrecevable.

La Cour examine néanmoins les arguments avancés par l’entreprise au soutien de son pourvoi en contrôle judiciaire. Sur la question de la consultation, la Cour rappelle que la Loi sur l’eau impose aux MRC de consulter certains organismes, comme les organismes de bassin versant, mais ne les oblige pas à solliciter directement les entreprises privées, même si elles sont concernées par les décisions environnementales. Concernant la validité des données utilisées, la Cour a souligné que celles-ci provenaient du ministère de l’Environnement et que la MRC était en droit de s’y fier.

Enfin, la Cour a réitéré que l’adoption d’un plan régional de protection des milieux humides et hydriques relève d’une décision politique de la MRC. Son rôle n’est pas d’évaluer le bien-fondé de ces orientations, mais seulement de vérifier qu’elles respectent les procédures et objectifs fixés par la loi. En l’espèce, la MRC a respecté ses obligations légales et n’a commis aucune irrégularité nécessitant l’intervention du Tribunal.

En conclusion, la Cour a rejeté la demande de Tourbières Lambert et a confirmé la validité du Plan adopté par la MRC. Elle rappelle que ces Plans sont avant tout des outils de planification et qu’une contestation judiciaire ne peut aboutir que si un préjudice concret et immédiat est démontré. Cette décision illustre les défis auxquels font face les entreprises qui souhaitent contester des politiques environnementales municipales et réaffirme la retenue des tribunaux face aux choix de planification territoriale des municipalités. Elle s’inscrit ainsi dans une tendance plus large où les juges reconnaissent aux autorités régionales une large discrétion en matière d’aménagement du territoire, limitant les possibilités d’intervention judiciaire.

[1] Tourbières Lambert inc. c. Municipalité régionale de comté de Lac-Saint-Jean-Est, 2024 QCCS 3614.

[2] Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et favorisant une meilleure gouvernance de l’eau et des milieux associés, RLRQ c C-6.2 (Loi sur l’eau).

[3] Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parc (Ministère de l’Environnement).