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La réglementation d’urbanisme ne définit pas tous les termes qu’elle emploie. Cette pratique courante ouvre la porte à plusieurs litiges concernant l’interprétation de certains mots ou concepts. Cette situation s’est produite dans la décision Gélinas c. Ville de Bromont[1] alors que la Cour d’appel s’est penchée sur l’interprétation des termes « quai » et « passerelle ».
Dans cette affaire, la demanderesse désire obtenir deux certificats d’autorisation pour l'implantation d'une passerelle pour installer deux aménagements sur pilotis de 30 mètres de longueur permettant d’accéder à une partie plus profonde du Lac Bromont dans le but de pouvoir s’y baigner. Ces aménagements permettraient de passer au-dessus des sédiments dans le premier cas et des plantes aquatiques dans le deuxième.
Le débat concerne donc la qualification de ces aménagements. Sont-ils des quais ou des passerelles au sens du Règlement de zonage numéro 1037-2017? Cette qualification est hautement importante dans le contexte, puisque la longueur maximale d’un quai est de 10 mètres alors que celle d’une passerelle est de 30 mètres selon ledit règlement. Dans le cas particulier de la demanderesse, un quai d’une longueur de 10 mètres ne serait pas suffisant pour atteindre la partie baignable du lac, ce qui rendrait cette construction inutile. La Ville prétend qu’il ne peut s’agir d’une passerelle, car la fonction d’une passerelle est de permettre le passage de piétons et doit permettre de traverser un milieu humide. Or, l’aménagement de la demanderesse ne traverserait pas le lac et ne servirait pas de passage. La Ville soutient donc que la demande vise l’installation d’un quai et non d’une passerelle. C’est sur cette base que la Ville refuse l'émission des certificats d’autorisation pour l'implantation d'une passerelle, d’où la demande en pourvoi en contrôle judiciaire de la demanderesse.
La Cour supérieure donne raison à la Ville. En effet, le juge Provencher interprète les termes « quai » et « passerelle » en se basant sur le sens ordinaire et grammatical des mots et notamment sur la définition que nous pouvons trouver dans le guide « Quais et abris à bateaux » produit par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs qui se lisait comme suit lors du litige :
« Quai » : Ouvrage permanent ou temporaire qui s’avance dans l’eau perpendiculairement à la rive de façon à permettre l’accostage d’une embarcation ou la baignade (synonymes : embarcadère, débarcadère).
Après analyse, le juge Provencher conclut que l’aménagement projeté est un quai, car il répond à la définition contenue dans ce guide. Dans son raisonnement, il accorde également beaucoup d’importance à la fonction première de l’ouvrage et à son usage projeté, soit l’usage récréatif et la baignade. Il ajoute qu’une passerelle doit servir à la circulation de piéton au-dessus d’un obstacle naturel et à traverser le milieu humide, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Le juge avance un second argument pour refuser la demande d’autorisation de la demanderesse. Il mentionne que même si la qualification de passerelle était retenue, les extrémités de l’ouvrage ne seraient pas implantées sur la rive comme le prescrit le règlement de zonage, ce qui ferait échec à la demande d’autorisation.
Or, la Cour d’appel renverse la décision de la Cour supérieure et donne plutôt raison à la demanderesse. Le juge Sansfaçon, exprimant son accord avec les principes d’interprétation retenus par le juge de première instance, mentionne tout de même qu’il ne faut pas uniquement se fier à l’usage fait d’un quai pour déterminer sa légalité. En effet, le juge de première instance a accordé une trop grande importance à l’usage projeté de l’aménagement sur pilotis, soit la baignade, et pas assez à son objectif premier qui est de franchir un obstacle naturel, soit les sédiments et les plantes aquatiques.
Après analyse du règlement, la Cour d’appel écrit qu’un aménagement ne doit pas obligatoirement traverser le lac ou le milieu humide pour obtenir la qualification de passerelle selon le règlement : celui-ci mentionne que l’extrémité de la passerelle, et non ses extrémités, doit être sur la rive. Ainsi, lorsqu’une des extrémités est implantée sur la rive, c’est suffisant pour obtenir la qualification de passerelle. Le fait que l’aménagement termine dans le lac ne fait pas obstacle à cette qualification.
L’important est donc que l’extrémité soit sur la rive et que la passerelle passe par-dessus la partie fragile d’un lac ou d’un milieu humide, soit l’endroit où se retrouve une prédominance de plantes aquatiques.
Cette interprétation est cohérente avec les autres constructions prévues dans ledit règlement qui, elles, ont pour fonction de traverser un cours d’eau, comme les ponceaux et les ponts. Le fait que le règlement traite de manière distincte ces aménagements milite en faveur de l’interprétation qu’une passerelle ne doit pas obligatoirement traverser le cours d’eau.
Finalement, l’utilisation que veut en faire la demanderesse, soit de traverser un herbier et un secteur marécageux, satisfait aux objectifs de la Politique de protections des rives, du littoral et des plaines inondables qui était en vigueur lors de l’adoption du règlement. En effet, cette politique proposait de se servir d’une passerelle pour se rendre de la rive à un quai afin d’éviter de perturber un herbier aquatique.
La Cour d’appel conclut donc que même si la demanderesse souhaite se baigner une fois rendue au bout de la passerelle, cette situation n’enlève pas le fait que celle-ci sert à franchir un obstacle naturel, soit des plantes aquatiques et des sédiments. Le juge conclut donc que l’aménagement projeté est une passerelle au sens du Règlement de zonage numéro 1037-2017 et ordonne à la Ville de délivrer les deux certificats d’autorisation.
Cette décision nous permet de constater l’importance des mots dans la réglementation d’urbanisme et l’importance de définir ceux-ci lorsque la municipalité souhaite qu’ils aient une portée particulière. La conclusion de la Cour dans cette affaire ne s’applique pas nécessairement à votre règlementation. Cela dépend de la rédaction de votre réglementation d’urbanisme. Par contre, elle met en lumière l’exercice d’interprétation des règlements d’urbanisme qui est réalisé par les tribunaux.
[1] 2024 QCCA 748.
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