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Les limites de la responsabilité pénale du propriétaire d’un immeuble

Oct. 2025
  • Publications
  • Droit municipal

À titre d’OMBE, vous procédez à des inspections pour vérifier l’application de la réglementation municipale sur votre territoire ou vous déléguez cette tâche à des membres de votre équipe. Lors de ces inspections, vous constatez parfois des infractions à cette réglementation. Au moment d’intervenir, votre premier réflexe est de vous tourner vers le propriétaire de l’immeuble. Évidemment, il s’agit de l’information dont vous disposez.

Toutefois, qu’arrive-t-il si l’infraction a été commise par une tierce personne, par exemple un locataire ou un occupant? Est-ce que le propriétaire pourrait être tenu responsable des actes ou omissions réalisés par un tiers sur sa propriété? La Cour supérieure a étudié cette question récemment dans l’affaire Pilon c. Municipalité de Godmanchester[1]. La réponse à ces questions n’est pas si simple.

Dans cette affaire, il était reproché à M. Pilon, à titre de propriétaire d’un immeuble situé dans la Municipalité de Godmanchester, d’avoir permis ou toléré la présence d’un chenil et d’une garderie pour chien/chat sans avoir obtenu au préalable un permis d’opération municipal. Il a été déclaré coupable par un juge de la Cour municipale. M. Pilon a porté en appel ce jugement. La Cour supérieure a accueilli l’appel et a acquitté M. Pilon. Les interrogations que nous avons soulevées précédemment sont au cœur de cet acquittement.

M. Pilon était bien propriétaire de l’immeuble concerné et il avait admis savoir qu’un élevage canin y était opéré, sans permis, par son locataire. Toutefois, il prétendait que la réglementation, telle que rédigée, ne permettait pas à la Municipalité de le poursuivre pour des faits impliquant son locataire.

L’article 9 du règlement prévoyait qu’il était « interdit d’opérer un chenil ou garderie pour chien/chat sans avoir obtenu, au préalable, un permis d’opération conforme au règlement[2] ». L’article 15 du règlement prévoyait que « quiconque qui contrevient à l’un des articles du règlement[3] » était passible d’une amende. Ainsi, les dispositions réglementaires ne prévoyaient pas spécifiquement qu’il pouvait être reproché d’avoir toléré ou permis la présence du chenil sans le permis municipal.

La Municipalité a argumenté que « le droit pénal consacre le principe selon lequel de façon générale […] le propriétaire doit être tenu responsable des infractions qui sont commises sur sa propriété et donc des infractions qu’il a permises ou tolérées sur sa propriété[4] ». Or, à la suite de l’analyse de la jurisprudence applicable[5], le tribunal a plutôt conclu qu’il n’existe pas un tel principe général. En fait, si une municipalité souhaite tenir responsable pénalement une personne pour les gestes d’autrui, elle doit le prévoir expressément dans sa réglementation.

Puisque la réglementation ne visait que la personne qui opère le chenil, la Cour a statué que la Municipalité ne pouvait pas libeller le constat d’infraction de manière à reprocher à M. Pilon d’avoir permis ou toléré cette activité. En fait, elle devait faire la preuve que M. Pilon avait lui-même exercé cette activité, ce qui n’était pas le cas. M. Pilon a donc été acquitté de l’infraction reprochée.

Par ailleurs, selon ce jugement, la seule mention dans le règlement qu’un propriétaire soit responsable de tout ce qui se déroule sur sa propriété ne serait pas suffisante pour créer une responsabilité pénale au propriétaire lorsque les faits sont commis par un tiers.

Des leçons doivent donc être tirées de ce jugement, surtout dans le contexte où vous ne connaissez généralement pas l’identité de la personne qui a réellement commis les gestes reprochés. Le propriétaire de l’immeuble demeure la personne la plus facile à cibler dans ces circonstances.

Premièrement, la rédaction de vos règlements municipaux est d’une importance capitale. La réglementation doit prévoir clairement que le propriétaire doit agir lorsqu’une infraction survient sur sa propriété et qu’il ne peut demeurer passif. Nous vous invitons à vérifier ceux-ci afin de vous assurer qu’ils créent spécifiquement une infraction pour la personne qui permet ou tolère une infraction ou la personne qui omet de respecter la réglementation. Ces termes pourraient être insérés dans la disposition qui énonce la contravention et les amendes. Ils pourraient aussi être ajoutés dans certaines dispositions spécifiques qui visent souvent de tierces personnes, notamment dans le règlement de nuisances.

Deuxièmement, si vous constatez une infraction sans savoir qui l’aurait commise, nous recommandons l’envoi d’un avis d’infraction au propriétaire de l’immeuble avant d’émettre le constat d’infraction. Ainsi, si l’infraction a été commise par un tiers, cet avis aura pour effet d’avertir le propriétaire d’une problématique sur son immeuble et pourrait réduire ses chances de faire valoir un moyen de défense valable. Cet envoi serait particulièrement important en présence d’une infraction continue.

Troisièmement, si vous savez que l’infraction a été commise par le locataire ou l’occupant de l’immeuble et que vous avez en main ses informations personnelles, vous pourriez certainement viser cette personne. Il serait alors important de modifier la rédaction du libellé du constat d’infraction afin de ne pas faire référence au propriétaire (« étant propriétaire du… »). Également, nous vous recommandons d’éviter l’utilisation du terme « locataire » dans le libellé et d’opter pour le terme « occupant ». Le terme « locataire » implique de faire la preuve de l’existence d’un bail, un document que vous ne détenez généralement pas.

Enfin, lorsque l’infraction vise une personne morale, celle-ci doit nécessairement avoir été commise par l’entremise d’autrui. Une responsabilité pénale directe serait possible dans ce contexte précis. Toutefois, il faudra réunir suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que l’activité illégale a été commise pour le compte de l’entreprise.

Par conséquent, le propriétaire d’un immeuble peut être tenu responsable d’une infraction commise sur son immeuble sans qu’il ne l’ait lui-même commise. Toutefois, la réglementation municipale devra le prévoir expressément. À la lumière de ce récent jugement, des modifications réglementaires pourraient être requises. N’hésitez pas à consulter vos conseillers juridiques si vous avez besoin d’un accompagnement à cet effet. L’objectif est que vous ayez les meilleures chances de succès lorsque l’intervention de la Cour est requise.

[1] 2025 QCCS 2676.

[2] Id, par. 61.

[3] Id, par. 62.

[4] Id, par. 32.

[5] Municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges c. Gestion immobilière Larouche Martin inc.2020 QCCA 1059.