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L’utilisation des pesticides et des engrais : une compétence municipale

Sep. 2020
  • Publications
  • Droit municipal

Le 19 janvier 2020, la Cour supérieure a confirmé le rôle des municipalités dans l’établissement de règles entourant le contrôle des pesticides et des engrais dans l’affaire 170304 Canada inc. c. Municipalité de la paroisse de Sainte-Anne-des-Lacs[1].

Le 8 mai 2017, la Municipalité de Sainte-Anne-des-Lacs (ci-après : « Municipalité ») a adopté le Règlement numéro 422-2017 sur l’utilisation des pesticides et des fertilisants[2] (ci-après : « Règlement »). Selon le Règlement, l’utilisation de pesticides ou d’engrais est prohibée sur le territoire de la Municipalité. Le Règlement prévoit toutefois certaines exceptions à l’utilisation de pesticides à l’extérieur et à l’intérieur d’un bâtiment. Il est alors nécessaire de déposer une demande de certificat d’autorisation.

Pour ce qui est des engrais, seule l’utilisation d’un amendement organique est permise pour les plates-bandes, les jardins et les potagers situés à moins de quinze (15) mètres de la ligne des hautes eaux d’un lac, d’un cours d’eau ou d’un milieu humide. L’expression « amendement organique » est définie dans le Règlement comme étant « les composts, les fumiers d’origine animale ou végétale et la cendre de bois naturel non transformée ni mélangée ».

Les activités commerciales de 170304 Canada inc., connue sous la raison sociale Weedman (ci-après : « Weedman »), consistent dans le traitement de pelouses par l’application d’engrais et de pesticides. Elle détient un permis exigé en vertu de la Loi sur les pesticides pour effectuer des travaux de type « Horticulture ornementale ».

Dans cette affaire, Weedman soutenait que le Règlement l’empêchait de réaliser ses activités commerciales sur le territoire de la Municipalité. Elle a donc demandé que le Règlement soit déclaré nul puisqu’inconciliable avec la législation et la réglementation fédérales et provinciales et inopérant en raison du caractère prohibitif, imprécis et discriminatoire du Règlement.

Tout d’abord, la législation et la réglementation fédérales concernant les pesticides[3] régissent l’homologation des produits, leur fabrication, l’emballage, l’étiquetage, l’importation, l’exportation, la distribution, le stockage, le transport, l’utilisation et la disposition. La législation et la réglementation provinciales concernant les pesticides[4] régissent la distribution, la vente, l’entreposage, le transport et l’utilisation de ceux-ci.

La législation et la réglementation fédérales relatives aux engrais[5] gouvernent, quant à elles, l’approbation, la fabrication, la vente, l’importation, l’exportation et l’enregistrement de personnes exerçant une activité réglementaire relativement aux engrais. Le fumier et les engrais végétaux vendus à leur état naturel ne sont pas visés par cette législation et réglementation. Aucune loi ou réglementation provinciale ne vise les engrais.

La Municipalité a choisi de réglementer l’utilisation des pesticides et engrais de façon plus restrictive pour protéger la santé de ses citoyens et préserver la qualité de l’environnement de son territoire. Pouvait-elle le faire?

La Cour a répondu par l’affirmative. D’une part, elle a réitéré la compétence de la Municipalité de réglementer en matière de pesticides, compétence qui avait été établie, en 2001, par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Spraytech[6]. D’autre part, elle a confirmé la compétence de la Municipalité de régir les engrais en vertu de l’article 19 de la Loi sur les compétences municipales, ce qui n’avait pas préalablement été établie par les tribunaux.

Weedman prétendait toutefois que le Règlement était inconciliable avec cette législation et réglementation fédérales et provinciales. Le Règlement ne pouvait effectivement pas entrer en contradiction avec cette législation et réglementation.

Dans le cadre de son analyse concernant les pesticides, la Cour a conclu que la législation et la réglementation fédérales et provinciales sont permissives et que le Règlement n’entre pas en conflit avec celles-ci uniquement en raison du fait qu’il impose des normes plus sévères. Au contraire, la Municipalité peut être plus sévère que le gouvernement provincial et fédéral.

Le Règlement partage les mêmes objectifs que cette législation et réglementation et la Municipalité peut mettre en place un cadre restrictif sans empêcher l’application de cette législation et réglementation fédérales et provinciales.

La même conclusion s’applique pour les engrais. En fait, la législation et réglementation fédérales ne visent pas l’utilisation des engrais (où, quand, comment ils peuvent être utilisés). Les municipalités ont plutôt le champ libre pour réglementer à ce sujet, ce que la Municipalité a fait par l’entremise de son Règlement.

Pour ce qui est du caractère prohibitif, imprécis et discriminatoire selon les prétentions de Weedman, la Cour a confirmé que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. L’adoption de règlements fait intervenir une gamme de considérations non juridiques, au niveau social, économique ou politique. La Cour devait donc faire preuve de retenue envers le conseil municipal et devait se demander si l’adoption du règlement était raisonnable eu égard à ces facteurs.

La Cour a conclu que les prohibitions prévues dans le Règlement étaient sévères, mais qu’elles étaient raisonnables vu les objectifs de la Municipalité et en raison de son rôle important dans la protection de l’environnement.

Elle a aussi rejeté les arguments d’imprécision et de discrimination, confirmant par le fait même qu’un règlement n’est pas discriminatoire du simple fait qu’il ne concerne qu’une seule personne et que ses activités commerciales sont grandement restreintes.

Enfin, la Cour a réitéré qu’un recours intenté pour attaquer un règlement municipal doit être entrepris dans un délai raisonnable à compter de l’adoption dudit règlement (et non à compter de la connaissance factuelle du citoyen), sauf si la contestation vise un règlement adopté en absence totale de compétence.

Le délai de cinq (5) mois entre l’adoption du Règlement et le dépôt de la demande pour contester celui-ci a été considéré par la Cour comme étant un délai déraisonnable vu l’absence de diligence et de justifications.

Pour conclure, il est important de retenir que les municipalités ont un rôle à jouer dans l’établissement de règles concernant l’utilisation de pesticides et d’engrais. Si vous envisagez adopter ou modifier un règlement à cet effet, il est primordial de s’assurer que celui-ci n’est pas totalement prohibitif et qu’il est conciliable avec la législation et la réglementation fédérales et provinciales.

[1] 2020 QCCS 150.

[2] Dans le cadre de la présente affaire, le terme « fertilisant » auquel fait référence le Règlement est un synonyme au mot « engrais ». La loi fédérale connue sous son titre abrégé comme étant la Loi sur les engrais dans sa version française fait référence au terme « fertilizer » dans sa version anglaise. Le terme « engrais » dans le cadre du présent texte englobe les termes « engrais » et « fertilisants ».

[3] Loi sur les produits antiparasitaires (L.C. 2002, ch. 28) et Règlement sur les produits antiparasitaires (DORS/2006-124).

[4] Loi sur les pesticides (RLRQ, c. P-9.3), Code de gestion des pesticides (RLRQ, c. P-9.3, r. 1) et Règlement sur les permis et les certificats pour la vente et l’utilisation des pesticides (RLRQ, c. P-9.3, r. 2).

[5] Loi sur les engrais (L.R.C., 1985, ch. F-10) et Règlement sur les engrais (C.R.C., ch. 666).

[6] 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), 2001 CSC 40.