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Le 21 mai 2021, la Cour supérieure a confirmé, dans l’affaire Ratté c. Ville de Québec[1], que le fait d’offrir un immeuble en location à court terme pouvait constituer un usage et pouvait donc être prohibé. Elle a, par le fait même, rejeté l’appel de la décision de la Cour municipale à cet effet.
Le 29 janvier 2018, un officier de la Ville de Québec (ci-après « Ville ») a constaté, à la suite de recherches sur les sites Google et Facebook, l’existence d’une offre de location pour 31 jours ou moins relativement à la propriété de M. Ratté. L’immeuble étant situé dans une zone où les seuls usages autorisés étaient les usages de type H1 Logement et R1 Parc, l’officier a émis un constat d’infraction à M. Ratté pour avoir « exercé, toléré, permis ou maintenu un usage (résidence de tourisme) dans un immeuble ou une partie d’un immeuble qui n’est pas autorisé dans la zone ».
Précisons que selon le Règlement de l’Arrondissement de La Cité-Limoilou sur l’urbanisme, l’usage C11 Résidence de tourisme comprenait « les établissements qui offrent de manière publique » une unité d’hébergement pour 31 jours ou moins.
- Ratté prétendait que cette disposition était ultra vires puisque la Ville ne pouvait pas régir dans son règlement de zonage l’offre de location. En fait, selon lui, l’offre de location n’était pas un usage ou une utilisation du sol ou d’une construction.
De façon subsidiaire, M. Ratté argumentait que la Ville n’avait pas fait la preuve hors de tout doute raisonnable de tous les éléments constitutifs de l’infraction, plus précisément le lieu de l’infraction. En effet, il prétendait que la Ville aurait dû prouver qu’il était derrière son ordinateur, dans ledit immeuble, et avait offert ce lieu en location à la date de l’infraction.
En première instance, la juge a indiqué que l’offre de location était, en soi, un usage qui était prohibé. Ainsi, le concept d’usage ne s’appliquait pas uniquement à une construction ou une utilisation du sol, mais aussi à une activité ou opération relative à une affectation d’un immeuble. Selon la juge, l’offre et la location elle-même formeraient un tout.
Par conséquent, la Ville aurait adopté cette réglementation en respectant ses pouvoirs énoncés à l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[2] (ci-après « LAU »). La juge était également d’avis que la Ville avait prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments constitutifs de l’infraction, notamment quant au lieu de l’infraction.
La Cour supérieure a essentiellement confirmé le jugement de la juge de première instance. Dans un premier temps, la Cour a confirmé que l’article 113, al. 2 (1) et (3) LAU permettait aux municipalités de régir l’offre de location en tant qu’usage. Ces paragraphes de la LAU se lisent comme suit :
- Le conseil d’une municipalité peut adopter un règlement de zonage pour l’ensemble ou partie de son territoire.
Ce règlement peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants:
1° pour fins de réglementation, classifier les constructions et les usages et, selon un plan qui fait partie intégrante du règlement, diviser le territoire de la municipalité en zones;
[…]
3° spécifier, pour chaque zone, les constructions ou les usages qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés, y compris les usages et édifices publics, ainsi que les densités d’occupation du sol;
En effet, un « usage » ne se limite pas à l’utilisation des lieux. La Cour reprend aussi les propos de la juge de première instance, laquelle s’exprime ainsi :
[37] L’offre de location et la location forment un tout. Sans une offre de location sur Airbnb, il y a très peu de chances de louer à une clientèle qui est de passage dans la ville de Québec. En l’espèce, l’offre de location est donc une caractéristique de la location, un élément distinctif qui est propre à cet usage spécifique.
La Cour a ajouté qu’il serait improbable, dans un contexte de location à court terme, qu’un locateur reçoive des offres de location sans avoir au préalable offert son immeuble en location. Le fait d’offrir en location un immeuble fait en sorte que la vocation de l’immeuble est celle de type Résidence de tourisme. La Cour a écrit que l’offre de location était en fait un élément essentiel à l’usage de location à court terme. Pour le Tribunal, l’offre de location et la location en elle-même constituent un seul et même concept et constituent ainsi un usage au sens de la LAU.
Dans un deuxième temps, la Cour a conclu que l’article 10 (2) de la Loi sur les compétences municipales[3] (ci-après « LCM ») permettait à la Ville de régir l’offre de location, lequel permet aux municipalités de régir les activités économiques.
Le cadre large de la LCM permet aux municipalités de régir cette offre de location qui, essentiellement, est une forme d’économie de partage en forte croissance.
Par ailleurs, la Cour a conclu que l’article 113, al. 2 (23) LAU ne pouvait permettre à une municipalité de régir les offres de location à titre de mesure complémentaire. En fait, l’offre de location serait un usage à part entière. Elle ne pourrait donc pas être qualifiée de mesure complémentaire.
Dans un troisième temps, la Cour a conclu que tous les éléments constitutifs de l’infraction avaient été prouvés hors de tout doute raisonnable. M. Ratté soutenait que la Ville devait faire la preuve qu’il était dans l’immeuble visé par l’infraction lorsque l’offre de location a été publiée. La Cour a jugé que cette position était insoutenable et qu’il ne faisait aucun doute que l’emplacement pertinent était l’immeuble qui faisait l’objet de l’offre de location et non l’immeuble où a été publiée ladite offre.
Pour conclure, cette décision nous confirme que l’offre de location peut constituer un usage, ce qui est très intéressant. En effet, il peut s’avérer particulièrement difficile de faire la preuve d’un usage de location de type Résidence de tourisme ou Location à court terme. Or, la preuve d’une offre de location est beaucoup plus simple à obtenir et les moyens de défense pour le défendeur sont plus limités, ce qui augmente les chances de succès à la Cour.
Ainsi, si le règlement de zonage ne prévoit pas déjà que l’offre de location fait partie de l’usage de type Résidence de tourisme ou Location à court terme, il y aurait lieu de modifier celui-ci.
En terminant, il est important de souligner l’existence du projet de loi no 100, soit la Loi sur l’hébergement touristique, qui est présentement au stade de la présentation. Ce projet de loi a pour but de remplacer la loi actuelle. Or, selon la définition de l’expression « établissement d’hébergement touristique » qui y est prévue, la référence à la publication « par l’utilisation de tout média » qui fait partie de la définition présentement en vigueur serait retirée. Il sera important d’observer l’impact de cette possible nouvelle définition sur l’usage d’offre de location.
[1] 2021 QCCS 2095.
[2] RLRQ, c. A-19.1.
[3] RLRQ c. C-47.1.
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