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L’obligation d’informer le public n’est pas illimitée

Juin. 2023
  • Publications
  • Droit municipal

Le 3 avril 2023, la Cour d’appel du Québec a confirmé, dans l’arrêt Cormier c. Ville de Montréal[1], l’absence de responsabilité de la Ville de Montréal pour avoir fait défaut de divulguer à des propriétaires fonciers l’existence d’un rapport interne qu’elle détenait depuis 1994 et qui faisait état de la présence d’un ancien dépotoir dans le secteur du parc Baldwin. Ces propriétaires ont acquis des immeubles situés à proximité du parc et ils prétendaient avoir subi un préjudice de cette omission équivalente à la valeur marchande totale de leurs propriétés et à divers autres dommages.

Quelle était l’obligation de la Ville de Montréal (ci-après « Ville ») envers les propriétaires fonciers relativement à ces informations? Le fait de vivre à proximité d’un ancien dépotoir constitue-t-il un trouble de voisinage? Ces questions ont été abordées par la Cour et ses réponses apportent un éclairage intéressant sur ces sujets.

Les appelants ont acheté des propriétés qui ont été construites vers les années 1920 et 1930 sur le site d’une ancienne entreprise d’extraction d’argile qui a été exploitée au début du 20e siècle. Cette extraction laissait de grands trous dans le sol et ces dépressions étaient remblayées avec divers matériaux, notamment des matières de dépotoirs et de lieux d’enfouissement de déchets.

La Ville a acquis, entre les années 1906 et 1909, quatre lots à proximité des immeubles des appelants, lesquels forment aujourd’hui le parc Baldwin dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal. Le même type d’exploitation a eu lieu sur lesdits lots. De plus, après son acquisition, la Ville aurait utilisé ces lots à titre de dépotoir, des déchets domestiques et des matières organiques y ayant été retrouvés.

En 1994, un rapport a été préparé par le Service des travaux publics de la Ville à la suite de la réception d’informations provenant de Gaz Métropolitain à l’effet que des émanations de biogaz avaient été détectées en face du parc Baldwin. Selon ce rapport, le résultat des forages effectués montre que la zone de déchets s’étendrait bien au-delà du parc Baldwin et engloberait une zone résidentielle « importante ».

Il a été recommandé qu’un programme de surveillance des biogaz soit mis en place et qu’une étude détaillée des biogaz à l’intérieur des zones résidentielles soit effectuée afin de vérifier s’il existe un danger pour la santé et la sécurité des résidents. Le rapport suggérait l’octroi d’un budget « très important ». Or, aucune suite n’a été donnée à ce rapport et son contenu n’a pas été communiqué aux citoyens.

En 2015, la Ville a reçu une demande d’accès à l’information visant à obtenir divers documents en lien avec des études de biogaz du parc Baldwin et, par la suite, un reportage a fait état de la présence d’un ancien dépotoir et de déchets organiques dans le périmètre du parc Baldwin.

À la suite de la diffusion de ce reportage, la Ville a entrepris diverses vérifications afin de quantifier les possibles émissions de gaz. En 2016, les concentrations de méthane ont été jugées négligeables à l’intérieur du parc et des rues avoisinantes. Les appelants ont déposé leur recours contre la Ville la même année.

Tout d’abord, la Cour a conclu que les contaminants et biogaz se trouvant sous les propriétés des appelants ne provenaient pas du dépotoir exploité par la Ville, mais plutôt des activités d’un tiers, notamment en raison de la composition différente des sols aux divers endroits.

Toutefois, le principal reproche était l’omission d’avoir divulgué le contenu du rapport de 1994, et ce, dès sa rédaction. Ainsi, est-ce que la Ville avait l’obligation d’aviser les citoyens, notamment les propriétaires fonciers visés par ce rapport, de la présence de contaminants aux alentours et possiblement sous leur propriété?

La Cour a conclu négativement. D’une part, la loi, comme la Loi sur la qualité de l’environnement[2] (ci-après « LQE »), ne prévoyait pas de mécanisme de publicité lors de la construction de ces propriétés. Depuis 2003, un mécanisme de publicité a été mis en place pour certains terrains contaminés[3] et les municipalités doivent constituer une liste de terrains contaminés en fonction des avis inscrits sur le registre foncier[4]. Ce n’est qu’en 2017 que le législateur a incorporé l’obligation de faire une étude de caractérisation du terrain afin d’obtenir l’autorisation de construire sur un site d’élimination de déchets[5].

D’autre part, la Ville n’a pas manqué à son devoir général de prudence et de diligence envers des tiers. Le rapport ne précisait pas que la sécurité du public était compromise et que des actions concrètes devaient être mises en place pour protéger le public. Toutefois, dans un tel contexte, nous comprenons qu’une municipalité aurait l’obligation d’avertir rapidement les citoyens concernés.

Dans cette affaire, il appert que la présence d’un remblai composé de diverses matières n’est pas, en soi, une situation dangereuse ou risquée. En fait, les propriétés peuvent demeurer en place, la loi n’exige pas le retrait de ces remblais et l’usage résidentiel peut être exercé, notamment en raison du fait que les propriétés ont été construites avant l’entrée en vigueur de la LQE.

La Cour a écrit que la ligne est mince entre ne pas agir et dévoiler des informations préliminaires qui n’ont pas été vérifiées et qui aurait pour effet d’alarmer inutilement les citoyens. Elle réitère toutefois que le devoir premier d’une municipalité est d’agir dans l’intérêt de ses citoyens.

Elle ajoute qu’il est déplorable que la Ville n’ait pas assuré un suivi du rapport de 1994. Cependant, considérant que les vérifications subséquentes ont démontré que les propriétés et les propriétaires n’ont pas été affectés par les biogaz et qu’il n’y ait eu aucune conséquence directe envers la santé et sécurité des appelants, la Ville n’a pas été tenue responsable de cette absence de suivi.

La situation aurait été bien différente si des conséquences néfastes avaient été causées aux appelants. Il est donc important de retenir le devoir premier des municipalités, soit de veiller au meilleur intérêt de leurs citoyens, et de prendre des décisions en conséquence.

Enfin, la Cour a conclu que le simple fait de vivre aux alentours d’un ancien dépotoir enfoui depuis de nombreuses années ne constitue pas un trouble de voisinage puisque les appelants n’ont pas fait la démonstration d’inconvénients anormaux découlant de l’exercice du droit de propriété de la Ville. L’exploitation du site de dépotoir a cessé depuis longtemps et la preuve de la migration des contaminants n’a pas été établie.

Bref, l’obligation d’une municipalité de communiquer des informations au public n’est pas illimitée. Il faut se rappeler qu’elle doit agir dans l’intérêt de ses citoyens et, parfois, cet intérêt peut reposer sur le fait qu’elle ne souhaite pas alarmer ses citoyens pour une situation qui n’est pas dangereuse ou risquée.

Par ailleurs, lorsqu’une municipalité reçoit des informations à l’effet que la santé et sécurité de ses citoyens pourraient être compromises, nous recommandons que soient effectuées toutes les vérifications qui s’imposent en pareilles circonstances.

[1] 2023 QCCA 462.

[2] RLRQ, c. Q-2.

[3] Art. 31.44 et 31.58 LQE.

[4] Art. 31.68 LQE.

[5] Art. 22, al. 1 (9) LQE.