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Les municipalités ont le pouvoir d’agir rapidement pour encadrer les usages et le développement, notamment au moyen de l’effet de gel découlant de l’avis de motion donné par un élu lors d’une séance du conseil. En effet, l’article 114 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme prévoit que, lorsqu’un avis de motion a été donné en vue d’adopter ou de modifier un règlement de zonage, aucun permis ne peut être accordé pour l’exécution de travaux ou l’utilisation d’un immeuble qui seront prohibés par la nouvelle mesure (l’article 117 prévoit l’équivalent pour les permis de lotissement).
La Municipalité de Tadoussac a utilisé cet outil pour bloquer l’émission d’une attestation de conformité requise par le propriétaire d’une microbrasserie, dans le cadre d’une demande de modification de son permis d’alcool en vue de présenter des spectacles. Dans l’affaire Microbrasserie de Tadoussac inc. c. Guérin[1], la Cour supérieure avait à décider si l’avis de motion bloquait la délivrance de l’attestation de conformité et si le règlement prohibant les spectacles qui s’en est suivi est opposable à la microbrasserie.
À la première question, la Cour répond par l’affirmative, s’appuyant sur un arrêt de la Cour d’appel portant sur l’émission d’un certificat de non-contravention requis par la Loi sur la qualité de l’environnement. Ce volet de la décision nous semble conforme à l’état du droit.
À la question de savoir si le règlement interdisant les spectacles est opposable à la microbrasserie, la Cour supérieure répond toutefois par la négative, annulant l’effet du règlement sur la demanderesse et ordonnant par conséquent la délivrance de l’attestation de conformité.
Pour en arriver à cette conclusion, le Tribunal conclut en la mauvaise foi de la Municipalité, en application d’un arrêt de la Cour suprême, Boyd Builders[2]. Il s’agit selon nous d’une application erronée de cet arrêt, qui n’intervient que lorsque le demandeur de permis a acquis ses droits en raison d’une demande substantiellement complète et conforme, ce qui n’est pas le cas en l’espèce selon le juge lui-même.
En ce sens, cette affaire se rapproche pourtant de l’arrêt Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau inc.[3], par lequel la Cour d’appel rappelle que le fardeau de preuve n’est pas renversé lorsque le propriétaire n’a pas acquis ses droits au permis, comme en l’espèce. Ainsi, c’est bien à la demanderesse de démontrer la mauvaise foi de la Municipalité. Or, le juge d’instance n’applique pas ni ne discute de cet arrêt.
Aussi, la mauvaise foi d’une municipalité implique un acte du conseil qui s’éloigne de façon marquée du contexte législatif entourant la décision (voir l’arrêt Frelighsburg de la Cour suprême[4]), ici le pouvoir de prohiber un usage, pouvoir dévolu par le législateur et reconnu par les tribunaux.
Il n’en demeure pas moins que le comportement de la Municipalité ne semble pas irréprochable, en l’espèce, et que l’appréciation factuelle faite par le juge et l’amenant à conclure en la mauvaise foi de la Municipalité aurait difficilement pu être contestée en appel (la décision n’a pas été portée en appel), quoique ce ne fut pas perdu d’avance.
Quoi qu’il en soit, que retenir de ce volet de la décision?
Bien que la Cour supérieure doive être déférente face au conseil municipal quant à son appréciation de l’intérêt public et de l’opportunité d’adopter telle ou telle mesure, les municipalités doivent néanmoins être prudentes dans l’utilisation qui est faite de l’avis de motion et du pouvoir de réglementer, notamment en démontrant que la règle est d’intérêt général et répond à une préoccupation légitime de la municipalité.
Le soin apporté à la rédaction des actes du conseil sera de la première importance ainsi que le fait de documenter adéquatement les faits sur la base desquels le conseil a été amené à agir et qui permettent de comprendre l’intérêt municipal. Certes, la bonne foi de la municipalité se présume, ainsi que la légalité de son règlement; encore faut-il cependant qu’elle soit en mesure d’expliquer les fins visées pour éviter le renversement de la présomption de preuve et l’intervention de la Cour.
[1] 2022 QCCS 2141
[2] [1965] SCRS 408
[3] 2019 QCCA 1402
[4] [2004] 3 RCS 304
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