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Modifications législatives en matière d’appel d’offres et Autorité des marchés publics (AMP)

Déc. 2018
  • Publications
  • Droit municipal

Comme vous le savez sans doute, le processus municipal d'appel d'offres sera grandement chamboulé dans les dix mois de la nomination (25 juillet 2018) du président-directeur général, soit le 25 mai 2019, par l'entrée en vigueur de plusieurs dispositions de de la Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l'Autorité des marchés publics[1] (ci-après " Loi 108 ").

Adoptée dans la foulée du rapport de la Commission Charbonneau, cette loi contraint les municipalités à se doter d'un processus de plainte en matière d'appel d'offres. En outre, elle prévoit un mécanisme de plainte à la municipalité et ultimement de plainte devant une nouvelle instance : l'Autorité des marchés publics.

Le présent texte vise à informer les acteurs du monde municipal sur la nature de certains changements législatifs apportés par la nouvelle loi ainsi que sur les impacts potentiels de ceux-ci sur les activités municipales.

I. Modifications aux lois municipales

La Loi 108 modifie plusieurs lois municipales : Loi sur les cités et villes[2], Code municipal du Québec[3]Loi sur la Communauté métropolitaine de Montréal[4]Loi sur la Communauté métropolitaine de Québec[5]Loi sur les sociétés d'économie mixte dans le secteur municipal[6], Loi sur les sociétés de transport en commun[7] et Loi sur les villages nordiques et l'Administration régionale Kativik[8]. Ces modifications sont cependant toutes identiques.

La principale innovation de la Loi 108 est l'instauration d'une obligation pour les municipalités de se doter d'une " procédure portant sur la réception et l'examen des plaintes formulées " dans le cadre de l'adjudication d'un contrat à la suite d'une demande de soumission publique ou de l'attribution d'un contrat (art. 573.3.1.3 L.c.v. et 938.1.3 C.m.).

Ce processus devra être publié sur le site internet de la municipalité et devra prévoir que les plaintes seront transmises par voie électronique au responsable des plaintes de la municipalité. Ces plaintes pourront d'ailleurs porter sur un processus d'appel d'offres en cours (art. 573.3.1.4 L.c.v. et 938.1.4 C.m.).  Si la plainte porte sur un appel d'offres en cours, elle ne pourra porter que sur le fait que les documents d'appel d'offres n'assurent pas un traitement intègre et équitable des concurrents, ne permettent pas à des concurrents qualifiés de participer ou ne sont pas conformes au cadre normatif de la municipalité.

Si tel est le cas, un échéancier très serré devra s'appliquer (voir art. 573.3.1.4 à 573.3.1.6 L.c.v. et 938.1.4 à 938.1.6 C.m.). Cet échéancier est résumé dans le tableau ci-bas :

Nouveaux délais en matière d'appel d'offres

Situation Date limite de réception
des plaintes par la municipalité
Date limite de réception

des soumissions

En temps normal Calculée en ajoutant, après la date de l'annonce de la demande de soumissions, la moitié du délai de réception des soumissions (Minimum 10 jours). Minimum 4 jours ouvrables après la date limite de réception des plaintes.
En cas de modification Si la date de réception des soumissions est prolongée, la date de réception des plaintes est reportée de la moitié de cette prolongation. Si la modification est effectuée 3 jours ou moins avant la date limite de réception des soumissions, la date limite est reportée de 3 jours
En cas de décision sur une plainte N/A S'il reste moins de 7 jours avant la date de réception des soumissions, celle-ci doit être reportée d'au moins 7 jours à compter de la transmission de la décision*.
En cas d'absence de décision sur une plainte N/A Dans ce cas, l'exploitant du SEAO reporte automatiquement la date limite de quatre jours.

*La décision doit être transmise au plus tard 3 jours avant la date limite de réception des soumissions. Sinon, la municipalité doit reporter la date limite de réception des soumissions en conséquence.

Les municipalités doivent s'attendre à ce que le processus de plainte vienne complètement changer la donne en matière d'octroi de contrat. En effet, une plainte d'un soumissionnaire obligera les décideurs publics à se positionner rapidement sur le bien-fondé de celle-ci, sans quoi la plainte aura pour effet de perturber l'échéancier d'octroi de contrat.

Bref, les nouvelles modifications pourraient ralentir le processus d'octroi de contrat pour les municipalités, particulièrement pour celles où le conseil municipal ne se réunit que mensuellement. Pour contrer cette situation, les échéanciers d'appel d'offres devront donc tenir compte du risque de report des dates limites.

II. Autorité des marchés publics

Un second palier se greffe à la nouvelle procédure de plainte municipale : l'Autorité des marchés publics. Ce nouvel organisme pourra entendre les plaintes des soumissionnaires insatisfaits de la décision de la municipalité (Art. 37 à 40 de la Loi 108).

Bien que l'Autorité dispose de pouvoirs assez importants à l'égard des organismes publics, dont celui d'annuler des appels d'offres, d'ordonner de les modifier, de suspendre l'exécution d'un contrat ou de le résilier, les décisions de cet organisme n'auront que force de recommandation à l'égard des organismes municipaux (art. 29 de la Loi 108).

Cela n'empêche que les recommandations formulées par l'Autorité des marchés publics auront probablement un grand effet persuasif. Ainsi, une municipalité qui ignorerait une recommandation de cet organisme pourrait fort bien se le voir reprocher lors d'un litige judiciaire qui porterait sur les mêmes faits.

Certes, les municipalités n'auront pas l'obligation de reporter leur date de dépôt des soumissions afin de se conformer aux recommandations de l'Autorité comme devront le faire les autres organismes publics (art. 48 et 50 de la Loi 108), mais il sera sans doute préférable pour l'organisme municipal d'appliquer la même règle que pour les autres organismes publics et ce, dans le but d'éviter d'être poursuivi pour ne pas avoir respecté une recommandation de l'Autorité.

De plus, les organismes publics devront accorder une grande importance aux observations qu'ils pourront formuler à l'Autorité en vertu de la Loi 108 (art. 47). En effet, cette occasion sera la dernière chance d'influencer l'Autorité avant que celle-ci ne prenne position sur la plainte. Cette étape ne devra donc pas être négligée.

Conclusion

L'entrée en vigueur des dispositions de la Loi 108, dans les 10 mois qui suivront la nomination du PDG de l'Autorité des marchés publics, soit le 25 mai 2019, forcera les municipalités à se doter d'un nouveau processus de gestion des plaintes en matière d'appel d'offres. Les municipalités devront dès lors tenir compte de délais supplémentaires pour la préparation des appels d'offres, en plus de prendre des décisions rapides en cas de plainte.

En outre, les nouveaux pouvoirs de l'Autorité des marchés publics permettront aux soumissionnaires de formuler des plaintes à cette institution en cas de rejet de leurs plaintes par la municipalité. Bien que les décisions de l'Autorité n'aient que force de recommandation pour les municipalités, leur poids persuasif pourrait toutefois s'avérer important.

Pour s'adapter à la nouvelle structure, les municipalités auront avantage à se préparer en amont en révisant leurs documents d'appel d'offres et en prévoyant de plus longs délais entre la date d'émission des documents d'appel d'offres et la date limite de réception des soumissions.

De plus, il est important de noter que le processus de plainte prévu par la Loi 108 visera également des plaintes qui seront consécutives à la décision de la municipalité d'octroyer un contrat. Si de telles plaintes n'auront pas pour effet de ralentir le processus d'attribution, elles forceront néanmoins les administrations municipales à bien motiver leurs choix pour être en mesure de les défendre.

Exemple relatif aux délais en matière d'appel d'offres :

Le vendredi 2 mars, une Municipalité lance un appel d'offres pour la réfection d'un système d'égout et d'aqueduc. La date limite pour la réception des soumissions est le mercredi 2 mai. La municipalité fixe la date limite de réception des plaintes au lundi 2 avril.

Le lundi 30 avril, la Municipalité effectue une modification des documents d'appel d'offres par voie d'addenda. Conséquemment, la date de réception des soumissions est reportée de 3 jours, ce qui a pour effet de reporter cette date au lundi 7 mai, puisqu'il doit s'agir d'un jour ouvrable. Quant à la date limite de réception des plaintes, elle est reportée de la moitié du délai de la prolongation, soit deux jours, ce qui reporte ce délai au vendredi 4 mai.

Si un soumissionnaire porte plainte à la Municipalité le mercredi 2 mai et que celle-ci rend sa décision le jeudi 3 mai, la municipalité doit alors reporter la date de réception des soumissions pour qu'un délai de 7 jours reste à courir avant l'ouverture des soumissions, ce qui donne dans notre cas le vendredi 11 mai.


[1] L.Q. 2017, c. 27.

[2] RLRQ, c. C-19, ci-après " L.c.v. ".

[3] RLRQ, c. C-27.1, ci-après " C.m. ".

[4] RLRQ, c. C-37.01.

[5] RLRQ, c. C-37.02.

[6] RLRQ, c. S-25.01.

[7] RLRQ, c. S-30.01.

[8] RLRQ, c. V-6.1.