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Le pouvoir des municipalités de régir l’affichage

Oct. 2019
  • Publications
  • Droit municipal

En vertu de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (RLRQ, c. A-19.1), la L.A.U., les municipalités du Québec peuvent adopter des règlements pour "régir, par zone, la construction, l'installation, le maintien, la modification et l'entretien de toute affiche, panneau-réclame ou enseigne déjà érigé ou qui le sera à l'avenir." (Art. 113 al. 2 [14º] L.A.U.).

Ce pouvoir a fait l'objet d'un récent arrêt de la Cour d'appel (Ville de Montréal c. Astral Média Affichage, 2019 QCCA 1609) où la majorité de ce tribunal a validé une interdiction complète des panneaux-réclame sur le territoire de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal.

Cette décision constitue l'occasion idéale de rappeler les principes de base entourant le pouvoir des municipalités de régir l'affichage.

Pouvoir non contraint par les droits acquis

La disposition qui habilite les municipalités à régir les affiches, panneaux-réclame ou enseignes déjà érigés permet aux municipalités de ne pas reconnaître de droits acquis. Il s'agit d'un des très rares cas où un conseil municipal peut appliquer sa réglementation à une construction déjà érigée.

Par contre, la majorité de la Cour d'appel tient à rappeler, dans l'arrêt Astral Média Affichage, que ce pouvoir n'est pas absolu. En effet, lorsqu'une municipalité désire mettre "fin à des droits acquis, [elle] devrait soit indemniser la personne visée, soit lui permettre d'amortir ses droits." (Par. 95).

En l'espèce, le conseil d'arrondissement avait laissé un délai d'un an pour enlever ou déplacer les panneaux. Ce délai d'un an fut jugé raisonnable par la Cour d'appel (art. 96). Le conseil n'avait donc pas besoin de verser une indemnité aux propriétaires de panneaux.

Interdiction de prohiber sur l'ensemble du territoire

Bien que la Cour d'appel ait reconnu la validité d'une prohibition sur l'ensemble du territoire du Plateau-Mont-Royal, cela ne signifie pas pour autant qu'une municipalité dispose du pouvoir de prohiber les panneaux-réclame sur l'ensemble de son territoire.

En effet, la majorité de la Cour a jugé que les pouvoirs exercés par le conseil d'arrondissement l'étaient au nom de la ville de Montréal, laquelle ne prohibait pas les panneaux-réclame sur l'ensemble de son territoire, mais seulement sur celui du Plateau-Mont-Royal (par. 83 et 87).

Par conséquent, cela signifie qu'une municipalité locale ne peut pas se servir de ce précédent pour justifier une prohibition complète des panneaux-réclame sur la totalité de son territoire, à moins d'avoir été habilitée par le schéma d'aménagement à le faire. Même dans un tel cas, elle devrait respecter le droit à la liberté d'expression.

Liberté d'expression

Un autre élément important de l'arrêt Astral Média Affichage est l'analyse effectuée par le juge Ruel (au nom de la majorité) de la restriction imposée par le règlement à la liberté d'expression protégée par l'article 2 b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Bien que l'affichage soit une activité protégée par la Charte, le juge estime néanmoins que le règlement applique une restriction justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique (art. 1 de la Charte).

D'abord, le juge conclut, en citant l'arrêt R. c. Guignard, 2002 CSC 14, que la protection contre la pollution visuelle constitue un objectif raisonnable, urgent et réel (par. 115 et 116). L'interdiction des panneaux-réclame a un lien rationnel avec cet objectif en raison du fort impact visuel des panneaux (par. 127) et du fait que tous les panneaux sont visés indépendamment de leur contenu (par. 130).

Le fait que l'interdiction ne porte pas sur le contenu, mais plutôt sur le lieu d'affichage, est un argument pour justifier l'atteinte minimale au droit à la liberté d'expression (par. 139). En outre, le juge Ruel ajoute que les demandeurs dans le dossier, les afficheurs commerciaux, invoquaient la liberté d'expression de leurs clients, mais n'ont pas déposé de preuve sur l'impact de la restriction sur ceux-ci (par. 140 à 142).

Au stade de l'analyse de la proportionnalité de la mesure avec les objectifs, il ajoute que les personnes qui souhaitent diffuser leur message bénéficient d'autres tribunes (journaux locaux, Internet, affiches dans divers lieux de l'arrondissement) ou des panneaux-réclame dans d'autres arrondissements (par. 156 et 157).

Par ailleurs, le juge cite l'embourgeoisement du quartier et le choix d'améliorer la qualité du paysage urbain comme des facteurs justifiant la mesure (par. 165 et 166). Une telle limitation pourrait ne pas être justifiée dans un autre secteur qui ne présente pas les mêmes caractéristiques que Le Plateau-Mont-Royal (par. 170).

En somme, une municipalité doit être prudente avant d'adopter une interdiction des panneaux-réclame. Elle doit s'assurer que celle-ci est limitée au territoire et que la partie du territoire visée par l'interdiction est un endroit où elle a un intérêt à diminuer la pollution visuelle (p. ex. son centre-ville, un quartier résidentiel ou une artère commerciale importante), quitte à autoriser de tels panneaux dans des secteurs industriels ou en marge d'autoroutes.