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La légalisation du cannabis et les relations de travail : enjeux majeurs ou pétard mouillé?

Nov. 2018
  • Publications
  • Droit du travail et de l’emploi

Le 17 octobre 2018, la Loi sur le cannabis (ci-après la " Loi fédérale ") est entrée en vigueur. Certains s'inquiètent que tous pourraient consommer du cannabis à leur guise sur leur lieu de travail ou s'y présenter sous l'influence du cannabis à tout instant. Quels impacts réels cette Loi fédérale aura-t-elle sur les relations de travail?

La législation applicable

Depuis le 17 octobre 2018, en vertu de la Loi fédérale et de la Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis (ci-après la " Loi provinciale "), la possession d'un maximum de trente grammes de cannabis licite et la distribution de cette même quantité sont désormais légales, et ce, à compter de l'âge de 18 ans. Il est toutefois formellement interdit de vendre ou de faire la culture du cannabis. La consommation de cannabis licite peut désormais se faire à tout endroit, sauf s'il est déjà interdit de consommer du tabac ainsi que sur les terrains des établissements de santé et de services sociaux, les terrains des établissements collégiaux et universitaires, les pistes cyclables et les aires d'attente de transport en commun. Toutefois, les municipalités pourront adopter des règlements pour restreindre de manière plus importante les endroits où il sera possible de fumer du cannabis.

Les obligations de l'employeur

Au travail, malgré la légalisation du cannabis, l'employeur a toujours l'obligation légale d'assurer la santé et la sécurité physique et psychologique de tous ses employés. Ces derniers, quant à eux, doivent continuer à fournir une prestation de travail adéquate et se comporter de manière à ne pas mettre leur santé et sécurité en danger ni celles de leurs collègues. Ce faisant, l'employeur conserve le pouvoir d'interdire toute consommation, possession, distribution et vente de marijuana en milieu de travail ainsi que d'interdire aux employés de se présenter au travail sous l'influence de cette substance. Afin que ces obligations soient bien comprises par les employés, il est fortement suggéré de mettre en place une politique concernant l'usage de la drogue et de l'alcool par laquelle les employés seront également avisés des conséquences applicables en cas de violation.

Les tests de dépistage

Comme dans le cas de la consommation d'alcool, l'employeur est justifié de procéder à des tests de dépistage s'il possède des motifs sérieux de croire qu'un employé est sous l'influence du cannabis au travail. Un employeur pourra considérer avoir des motifs raisonnables suffisants s'il constate des signes objectifs de consommation de cannabis, si un employé est impliqué directement dans un incident grave ou lorsqu'un employé reprend le travail après un traitement pour alcoolisme ou toxicomanie. Dans ces seuls cas, l'employeur pourra effectuer un test de dépistage comme exercice raisonnable de ses droits de direction.

Les tests de dépistage actuellement disponibles sont ceux utilisant l'haleine, l'urine et le sang. Celui avec la salive est le plus simple à réaliser, et permet de déterminer si l'employé a consommé du cannabis dans les trois à six dernières heures. Il ne permet toutefois pas de déterminer la concentration de cannabis dans le sang ni même le moment exact de la dernière consommation. Pour sa part, le test de dépistage par l'urine, outre le fait qu'il doive être réalisé par des personnes spécialisées, est moins utile, car il confirme uniquement si l'employé a consommé du cannabis dans les sept derniers jours (consommateur occasionnel) ou les trente derniers jours (consommateur régulier). Ce test n'est donc utile que si l'employeur exige l'abstinence complète d'un salarié, par exemple lors d'une entente de retour au travail conclue avec un salarié à la suite d'une cure de désintoxication. Enfin, le test par le sang est sans contredit le plus précis puisqu'il permet de connaitre la concentration exacte de cannabis dans le sang et par le fait même si l'employé était effectivement sous l'influence du cannabis au travail. Ce test est toutefois le plus intrusif, et l'employeur devra s'assurer d'avoir de forts motifs raisonnables quant à la consommation de son employé avant de lui ordonner de se soumettre à ce type de dépistage, lequel est effectué dans une clinique spécialisée.

Le dépistage aléatoire (au hasard) n'est généralement pas permis. Deux conditions importantes doivent être remplies si un employeur veut réaliser un tel dépistage. En premier lieu, le poste des personnes devant se soumettre à ce dépistage doit être à haut risque, celui-ci étant inhérent au lieu de travail ou rattaché aux fonctions. En second lieu, l'employeur devra démontrer qu'il existe un problème généralisé de consommation en milieu de travail. Ce n'est que lorsque l'employeur remplira ces deux conditions qu'il pourra réaliser un test de dépistage aléatoire. Il est à noter que très peu d'employeurs ont passé ce test et ont été autorisés à procéder à de tels tests aléatoires.

Enfin, le test de dépistage à l'embauche est fortement déconseillé. Tout d'abord, il est interdit pour un employeur de discriminer à l'embauche pour l'un des motifs prévus à l'article 10 de la Charte. La dépendance au cannabis étant considérée comme un " handicap " au sens de la Charte, la simple question sur la consommation de cannabis est réputée discriminatoire. Il en est évidemment tout autant du dépistage. Ainsi, même si l'employeur apprenait qu'un candidat a consommé du cannabis durant la semaine précédant l'entrevue d'embauche, il ne pourrait tenir cette information en considération dans l'évaluation de la candidature. Au surplus, même si l'employeur ne tient pas cette information en considération afin d'écarter une candidature, le candidat non retenu pourrait déposer une plainte à la Commission des droits de la personne afin de réclamer des dommages.

Les sanctions disciplinaires

Lorsqu'un employeur obtient la preuve qu'un employé a contrevenu à la politique, il doit le sanctionner en lui imposant une mesure disciplinaire pouvant aller de l'avertissement écrit au congédiement. La mesure disciplinaire à imposer devra varier en fonction des particularités de chaque dossier (nature du poste occupé, degré de risque sur la sécurité, quantité de consommation, etc.) De plus, la politique doit être appliquée de manière rigoureuse afin de ne pas laisser croire aux employés qu'une tolérance existe. Enfin, il est important pour l'employeur de maintenir une cohérence dans le traitement des dossiers et les sanctions imposées.

La dépendance au cannabis et la notion d'accommodement raisonnable

Lors de la rencontre disciplinaire avec l'employé fautif, ou à tout autre moment avant l'imposition d'une sanction disciplinaire, il est possible pour l'employé de déclarer être dépendant au cannabis. Une telle dépendance, lorsqu'elle est confirmée par un médecin, entraîne l'obligation pour l'employeur d'évaluer les mesures d'accommodement qu'il peut offrir au salarié afin de l'aider à vaincre sa dépendance. Ces mesures d'accommodement pourront se manifester sous la forme d'autorisation de congés sans solde afin de suivre une cure de désintoxication, d'autorisation d'absences ponctuelles afin d'assister à des rencontres sur cette dépendance, d'une modulation des tâches afin de réduire le stress durant le traitement, etc. Eu égard à la situation financière de l'employeur et de l'employé, cet accommodement pourrait aller jusqu'au paiement de la cure de désintoxication par l'employeur. Par ailleurs, une entente dans laquelle l'employeur renonce à une sanction en échange d'une promesse de l'employé de s'abstenir de consommer et d'acquiescer à des tests de dépistage aléatoire (par l'urine) est souvent substituée à la sanction disciplinaire que voulait imposer l'employeur.

Conclusion

Bien que la légalisation du cannabis entraîne des impacts importants dans toutes les sphères de la société, nous considérons que celui en matière de relation de travail est peu important. En effet, tous les sujets susmentionnés étaient déjà d'actualité avant même la légalisation du cannabis.

Cette légalisation permettra toutefois aux employeurs d'entreprendre une réflexion sur le sujet, et de mettre à jour, ou en place, une politique claire afin d'encadrer la consommation de cannabis chez les employés.