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Inspecter avec l’aide d’un serrurier sans autorisation de la Cour: un pari risqué

Oct. 2018
  • Publications
  • Droit municipal

Le 17 septembre 2018, la Cour d'appel du Québec a rendu un jugement dans l'affaire Amzallag c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts1 concernant le droit d'un inspecteur municipal de pénétrer dans un bâtiment alors que le propriétaire refuse catégoriquement que l'inspection ait lieu.

Rappelons brièvement les faits pertinents en litige. Les appelants sont propriétaires d'un domaine regroupant onze bâtiments situés sur le territoire de la Ville de Sainte-Agathe-des-Monts (ci-après : "Ville"). En août 2012, la Ville entreprend un recours judiciaire en vertu des articles 227 et 231 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme2 et requiert notamment la démolition de sept des onze bâtiments, à la suite d'une inspection effectuée par les représentants de la Ville et d'un ingénieur en bâtiment. Lors de cette inspection, il est constaté que certains de ces bâtiments sont habités.

Quelques mois avant le procès, la Ville souhaite procéder à une nouvelle inspection, ce que les appelants refusent. Le 2 novembre 2015, les inspecteurs de la Ville, accompagnés dudit ingénieur en bâtiment, procèdent à l'inspection des bâtiments et, pour ce faire, ont recours aux services d'un serrurier afin de déverrouiller les portes des bâtiments et vont aussi entrer par une fenêtre pour deux des bâtiments.

Lors du procès, le dépôt des rapports rédigés suite à cette inspection est autorisé par le juge de première instance. Il est d'avis que cette inspection était autorisée par la réglementation de la Ville et qu'il était raisonnable que la Ville veuille effectuer une inspection avant le procès. Les appelants sont alors condamnés à réaliser des travaux de rénovation pour certains des bâtiments.

Les appelants portent en appel cette décision et la Cour d'appel circonscrit le débat autour d'une question, soit l'admissibilité en preuve des rapports de l'inspection du 2 novembre 2015. La Cour rappelle d'abord que cette inspection constitue une perquisition au sens de la Charte canadienne des droits et libertés 3 et de la Charte des droits et libertés de la personne4. Elle réitère également les pouvoirs de la Ville de procéder à cette inspection5.

Toutefois, la Cour d'appel est d'avis que la Ville devait obtenir l'autorisation de la Cour pour procéder à l'inspection. Dans le cadre de bâtiments résidentiels, les atteintes de vie privée sont plus élevées. D'ailleurs, la loi ne confère pas le pouvoir aux municipalités de faire appel à un serrurier dans le cadre d'une inspection administrative sans autorisation de la Cour, alors qu'il n'y a aucune urgence. L'inspection est donc illégale.

Néanmoins, la Cour d'appel admet cette preuve puisqu'elle n'est pas de nature à déconsidérer l'administration de la justice6. L'état lamentable des bâtiments, la dangerosité de ceux-ci, l'objectif légitime de la Ville et l'atteinte à la vie privée qui est de moindre importance puisque les appelants n'habitent pas les lieux ont été pris en considération par la Cour.

Somme toute, une municipalité n'est pas autorisée par la loi de procéder à une inspection d'un bâtiment, de force, sans autorisation judiciaire préalable. Si une preuve est recueillie lors d'une telle inspection, celle-ci pourrait être admissible lors du procès. Toutefois, il s'agit d'un risque important à soupeser puisque la Cour pourrait refuser de considérer cette preuve en raison de son obtention illégale.

 

1 2018 QCCA 1439 (Le délai pour porter en appel cette décision n'était pas expiré lors de la rédaction du présent article); La Cour d'appel a également énoncé les mêmes motifs dans une affaire connexe qui concernait la fille des appelants, soit Amzallag c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts, 2018 QCCA 1440.
2 RLRQ, c. A-19.1.
3 Art. 8.
4 Art. 24.1.
5 Art. 411 de la Loi sur les cités et villes et art. 492 du Code municipal du Québec.
6 Art. 2858 du Code civil du Québec.