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Dans quelles circonstances une municipalité peut-elle émettre une ordonnance pour euthanasier un chien dangereux?

Déc. 2019
  • Publications
  • Droit municipal

Le 1er novembre 2019, la décision Trahan c. Ville de Montréal (2019 QCCS 4607) a été rendue par l'honorable juge Frédéric Bachand. Cette décision concerne des dispositions du règlement animalier de la ville de Montréal (ci-après : "Ville") en matière d'euthanasie. Nous retrouvons certaines de ces dispositions dans d'autres règlements municipaux.

 

Résumons les faits de cette affaire. Le chien de Mme Trahan, un croisement entre un husky et un berger allemand, a mordu mortellement le schnauzer miniature de son voisin. Après avoir fixé une rencontre avec Mme Trahan, quelques jours après l'événement, une employée de la Ville rencontre celle-ci à son domicile pour recueillir sa version des faits et prendre des photos des lieux. Mme Trahan est alors informée qu'elle recevra un constat d'infraction ainsi qu'une ordonnance l'enjoignant de faire euthanasier son chien.

 

À la suite de cette rencontre, Mme Trahan reçoit effectivement ladite ordonnance qui lui laisse quarante-huit (48) heures pour agir. Elle entreprend alors un recours en pourvoi judiciaire afin de contester la légalité de cette ordonnance. Elle allègue notamment que la Ville aurait agi en contravention à l'équité procédurale.

 

L'article 30 dudit règlement prévoit ce qui suit :

30. Le gardien d'un chien qui a mordu et causé la mort d'une personne ou d'un autre animal d'une espèce permise conformément à l'article 3 doit :

1. Aviser l'autorité compétente de cet événement dans les 72 heures ;
2. Faire euthanasier l'animal suivant l'ordre d'euthanasie émis par l'autorité compétente ;
3. Museler l'animal en tout temps lorsqu'il se trouve à l'extérieur de l'unité d'occupation du gardien jusqu'à l'euthanasie de l'animal.

 

L'article 2 dudit règlement énonce notamment ce qui suit :

2. L'autorité compétente exerce les pouvoirs qui lui sont confiés par le présent règlement et notamment, elle peut : Faire euthanasier ou ordonner l'euthanasie d'un animal dangereux, à risque, interdit, errant, mourant, gravement blessé ou hautement contagieux ;

Un "chien dangereux" est défini, par le règlement, comme étant un "chien qui a causé la mort d'une personne ou d'un animal d'une espèce permise conformément à l'article 3" ou "un chien à risque ayant été déclaré dangereux par l'autorité compétente".

 

La Cour se demande si la Ville devait tenir compte du point de vue de Mme Trahan avant d'émettre l'ordonnance d'euthanasie. La Ville est d'avis que les responsables de l'application du règlement sont tenus, par un pouvoir lié, d'ordonner l'euthanasie du chien lors d'une morsure mortelle, et ce, peu importe les circonstances ou les arguments de Mme Trahan.

La Cour n'est pas de cet avis. Tout d'abord, elle estime que ce pouvoir se concilie mal avec les pouvoirs énumérés à l'article 2 du règlement. Selon ces pouvoirs, l'autorité compétente peut émettre une ordonnance d'euthanasie, mais elle n'est pas tenue de le faire. Aussi, cet article ne fait pas la différence entre un chien qui a causé la mort et un chien qui est à risque. Pour ce qui est de l'article 30 du règlement, il s'agit d'une obligation pour le gardien et non pour le fonctionnaire désigné.

 

La Cour conclut que l'interprétation préconisée par Mme Trahan doit prévaloir pour atteindre le meilleur équilibre entre la sécurité publique et le bien-être de l'animal. Puisque la Ville pouvait ou non ordonner l'euthanasie, elle devait recueillir le point de vue de Mme Trahan et tenir compte de ses arguments avant de procéder à l'émission de cette ordonnance, ce qu'elle n'a pas fait. La Cour annule l'ordonnance et elle renvoie le dossier à la Ville afin qu'elle recueille le point de vue de Mme Trahan et en tienne compte dans sa décision.

 

Par ailleurs, le fait qu'aucun processus contradictoire ou qu'aucune évaluation n'était prévu dans le règlement ne rend pas les dispositions invalides, selon la Cour. Par conséquent, la façon dont est rédigé un règlement a un impact direct sur le caractère discrétionnaire d'une décision pour le fonctionnaire municipal. Si le conseil municipal souhaite obliger celui-ci à prendre une décision précise dans des circonstances données, il doit l'indiquer clairement dans son règlement.

 

Pour éviter toute ambiguïté, il serait préférable que le fonctionnaire municipal s'adresse au propriétaire du chien dangereux, recueille son point de vue et prenne en compte celui-ci dans sa décision d'émettre une ordonnance d'euthanasie. Il est important de souligner qu'au moment de rédiger ce texte, le délai pour porter cette décision en appel n'était pas expiré.